30 mai 2014 | 1 Commentaire Alors que les résultats du 25 mai montrent l’état de décrépitude de notre système politique, Manuel Valls n’a rien de mieux à faire que d’annoncer une nouvelle accélération de son projet de redécoupage territorial et de décentralisation. Sauf envisager publiquement un gel des droits syndicaux des travailleurs du privé après avoir maintenu le gel des rémunérations des travailleurs du public, bien sûr. Le Gouvernement de Manuel Valls a deux projets en la matière : diviser par deux le nombre des régions ; leur transférer de nombreuses compétences et les doter d’un pouvoir réglementaire dont la loi définit l’étendue pour chaque compétence, ainsi que d’un pouvoir d’initiative législative indirecte.[ref]Le texte de l’avant-projet de loi[/ref] Le projet territorial de Valls est néfaste pour plusieurs raisons. Nous devons y apporter une contradiction offensive. Après le minerai de viande, le minerai de politique D’abord, la précipitation avec laquelle il est lancé n’est pas compatible avec le débat démocratique : substituer au découpage technocratique actuel un autre découpage technocratique ne présente aucun intérêt. Au contraire, un redécoupage qui irait à l’encontre des aspirations qui se manifestent parfois serait considéré, à raison, comme un camouflet de plus infligé par la « classe politique » aux « petites gens » et on verrait bien vite l’extrême-droite se faire le chantre de la défense du clocher du coin ou de régions identitaires ethnicistes. De plus, il relève d’une logique austéritaire : il s’agit de réduire des dépenses et de construire par n’importe quel moyen les agents d’une future compétition économique et sociale. Les syndicats sont légitimement inquiets des conséquences sociales que pourraient avoir ce plan. Surtout, il passe complètement à côté des problèmes d’organisation démocratiques de notre République. La cinquième République est à bout de souffle, et Valls veut nous en faire des copies à l’échelon local. Ainsi, le projet de gouvernement prévoit le transfert de certaines compétences réglementaires aux Régions, mais sans rien changer à leur organisation politique interne. Or, par exemple, il y règne comme dans les départements, les intercommunalités et les communes la même confusion entre le pouvoir exécutif et le pouvoir délibératif, qui nuit considérablement à la qualité du débat démocratique et à son appropriation par les citoyens. On assiste donc à une nouvelle tentative de transférer des pouvoirs depuis l’État vers des structures où le débat politique est moins visible et auxquelles le citoyen accorde moins d’attention : Union européenne (spécialement Conseil et Commission), collectivités locales, mais aussi autorités administratives indépendantes. Le transfert du RMI puis du RSA aux départements permet ainsi que la dégradation des conditions de sa gestion se voie moins et ne soit pas directement imputée au Gouvernement central qui en est pourtant responsable. De même, la mise en place de commissions pour fixer des éléments aussi importants que le taux de rémunération du Livret A ou le prix de l’électricité permet au Gouvernement central de se défausser. Je n’ai pas besoin de rappeler à quel point l’UE sert de bouc émissaire commode pour ne pas assumer des décisions prises, sachant qu’aucune directive ni aucun règlement européen n’est adopté sans l’approbation du Conseil des gouvernements des États membres de l’UE. C’est clairement le mouvement dans lequel s’inscrit ce projet. La décentralisation façon Valls, c’est la République divisée par 15 — ou 12, ou 18, ou 22, on attend de voir. Pour autant, il n’existe pas de complot des « européistes » et des « régionalistes » pour démanteler l’État-nation : c’est le Gouvernement central, dirigé par les libéraux de toutes chapelles, qui organise sa propre impuissance, et surtout sa propre irresponsabilité. Face à ce processus, je vois deux réactions possibles. La première est de s’arc-bouter pour maintenir les compétences au niveau du Gouvernement central. Mais dans les circonstances actuelles, c’est, de fait, vouloir maintenir des pouvoirs dans les mains de personnes qui ont montré qu’elles ne les exercent pas correctement, et peut-être à l’avenir dans les mains de personnes qui pourraient en faire un très mauvais usage — les résultats récents ne permettent pas d’exclure cette hypothèse. Par ailleurs, pour les mêmes raisons, le succès de cette démarche est incertain, puisque c’est le Gouvernement central qui se dépouille de ses pouvoirs, et que nous ne le contrôlons pas. Surtout, il parait de plus en plus difficile de mobiliser le peuple dans ce combat, en raison précisément du discrédit dont souffre le Gouvernement. La seconde possibilité est de tenter de subvertir la démarche. La démocratie près de chez vous Nous sommes face à un paradoxe : d’un côté une grande défiance des citoyens à l’endroit de l’ensemble de la « classe politique », de l’autre un manque d’implication dans la définition d’alternatives, ce qui contribue à instituer et faire perdurer une telle « classe politique ». En matière de politique, on ne peut pas dire « chacun son boulot » et estimer avoir rempli la totalité de son devoir de citoyen quand on a voté — pour ceux qui le font. Le nombre de citoyens qui font activement de la politique est trop réduit pour que la République vive. Comment faire en sorte que davantage de citoyens s’impliquent dans les partis et groupements politiques, qui, aux termes de l’article 4 de notre Constitution, concourent à l’expression du suffrage ? Le mieux serait que ces personnes l’indiquent : qu’est-ce qu’il faudrait pour que vous fassiez enfin de la politique ? Mais cela ne nous dispense pas de faire des propositions. Les lieux de pouvoir effectif apparaissent, et sont, trop peu nombreux et trop distants. C’est particulièrement criant dans la perception qu’ont de nombreux citoyens des institutions européennes ; il est vrai que les principaux partis ne font rien pour que cela change. Mais rien que dans notre République, seuls 925 citoyens sont des parlementaires, et ceux-ci sont chargés de la tâche herculéenne de produire la loi dans tous les domaines, pour tout ce vaste pays. C’est trop peu de citoyens, et c’est trop exigeant pour ceux qui sont désignés, à tel point qu’en réalité, la plupart des textes législatifs sont rédigés par le gouvernement et sa haute administration, ce qui dénature le rôle et l’image des parlementaires. Tout ceci contribue probablement à ce que pour la majorité des citoyens, la marche est trop haute, tout au moins dans leur perception. La création de lieux de pouvoirs locaux peut répondre en partie à ce problème : plus nombreux, plus proches géographiquement, ne traitant pas tous les problèmes d’un coup. Les assemblées délibérantes actuelles des collectivités territoriales ne peuvent jouer ce rôle ; d’abord en raison de leur mode d’organisation, ensuite en raison des pouvoirs limités dont ces collectivités disposent. Pour que l’apport démocratique soit effectif et que l’opération n’apparaisse pas comme une mascarade de plus, il faut que les citoyens aient la possibilité d’élire des parlementaires locaux qui leur sont accessibles et qui disposent d’un réel pouvoir. Au surplus, cela compliquerait notablement la tâche des organisations comme le FN qui, à chaque élection locale, inondent le pays de documents et affiches identiques dans leur — maigre — contenu. Bien entendu, il ne saurait être question de traiter là ce qui est constitutif de la République sociale, c’est-à-dire notamment les parties du code électoral relatives à la condition d’électeur et aux élections nationales ainsi que les matières législatives et réglementaires du code de la défense, du code des douanes, des codes civil et pénal et de procédures, des codes de la recherche et de l’éducation, du code de l’environnement et du code du travail. Encore que certains de ces codes sont fortement malmenés par les libéraux au pouvoir central — j’en parlais en introduction — et que nous devrions défendre des améliorations à tous les échelons où cela est possible. Mais le meilleur moyen de contrer les projets de création de collectivités ad hoc dans une logique de compétitivité entre territoires[ref]Résolution du « Congrès d’Alsace » du 24 novembre 2012[/ref], formulés pour contribuer à concrétiser les intentions du Premier ministre [Valls], qui à l’évidence, veux [sic] aller vite ![ref]Jean-Jacques Urvoas sur son « Assemblée de Bretagne »[/ref] ou tout simplement idiots, c’est encore de porter nos propres propositions. Suscitons une réflexion et une mobilisation collectives sur ce que pourrait être une démocratie locale et régionale réelles. Cela serait un moyen de donner une portée effective aux résolutions de mise hors du Grand marché transatlantique (TAFTA) que nos élus font déjà adopter par des collectivités locales, et plus généralement de disposer de l’appui populaire nécessaire pour désobéir aux politiques austéritaires. Cela serait un moyen d’obtenir des avancées sociales dans une région, laquelle servirait d’exemple aux mobilisations ailleurs : par exemple une inspection régionale du travail qui renforcerait l’existante. Cela serait un moyen de délibérer en commun un impôt local plus juste que la taxe d’habitation, qui est faiblement progressive et calculée sur des valeurs cadastrales périmées que le Gouvernement central néglige de mettre à jour. Ce projet, c’est la République multipliée par 15 — ou 12, ou 18, ou 22, on décidera nous-mêmes. C’est une façon de commencer de mettre en pratique, de façon concrète et avec le peuple, la Sixième République que nous voulons faire naitre.