Ce titre n’est pas ironique : il y a des domaines où l’Allemagne peut être prise en exemple pour améliorer la situation en France. Tel est le cas du mode d’élection de la chambre basse de son Parlement, le Bundestag. Il combine en effet un scrutin majoritaire et un scrutin proportionnel, chaque Allemand votant deux fois. La récente proposition du Président de l’Assemblée nationale, qui vise à accorder également deux voix aux Français pour les législatives, est l’occasion d’en parler.

Je commence par décrire le mode de scrutin actuel et le scrutin proportionnel ainsi que leurs avantages et inconvénients ; rien de nouveau et le lecteur connaissant ces sujets ira tout de suite à la partie 3.

Le mode de scrutin français actuel

Description

L’Assemblée nationale française comprend 577 députés : depuis 2012, 11 d’entre eux sont élus par les Français résidant à l’étranger et 566 par les Français résidant en France. Chaque député est élu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

Uninominal signifie que chaque Français qui vote contribue à l’élection d’une seule députée (en pratique il y a quand même deux noms sur le bulletin de vote car il y a une suppléante à élire, mais il n’y a bien qu’un seul nom de candidat à la fonction de député titulaire). À cet effet, le territoire de la France est partitionné en 566 circonscriptions et le reste du monde en 11 circonscriptions.

Majoritaire signifie que, dans chaque circonscription, est élu le candidat qui a obtenu la majorité des voix : l’élection dans chaque circonscription est totalement indépendante des autres. Cet aspect majoritaire est nuancé par l’existence des deux tours : pour être élu au premier tour, il ne suffit pas d’avoir une majorité relative de voix (c’est-à-dire plus que chacun des autres) mais il faut la majorité absolue (c’est-à-dire plus que tous les autres réunis). Lorsqu’aucun candidat n’obtient cette majorité absolue, ce qui est fréquent, un second tour est organisé entre les candidats ayant eu le plus de voix.

L’Assemblée nationale est alors le résultat de la juxtaposition de toutes ces élections.

Avantages

Ce mode de scrutin permet à chaque Français d’avoir « sa » députée : celle qui est élue dans la circonscription où il vote. La députée, comme membre de l’Assemblée nationale, est une représentante du Peuple dans sa globalité (pour cette raison, on peut être candidate dans une circonscription différente de celle où l’on habite soi-même, contrairement au cas des élections locales). Mais elle peut entretenir un lien plus étroit avec sa circonscription et ses habitants. Souvent, la députée aura d’ailleurs une permanence dans la circonscription, où les gens pourront être reçus.

Ce mode de scrutin permet aussi l’émergence de candidats indépendants des organisations politiques. Pour se lancer dans une campagne, il suffit en théorie d’être trois : le candidat, son suppléant, et un mandataire financier. On mène campagne dans sa circonscription, qui, sauf à l’étranger, est toujours comprise dans un département.

Difficultés posées

Le second avantage décrit plus haut n’existe qu’en théorie. On a bien vu lors des dernières élections que la quasi-totalité des candidates qui ont été élues ont inscrit leur campagne dans un cadre national et ont bénéficié du soutien d’une organisation politique. Cela n’a rien de scandaleux car c’est bien la représentation nationale qu’on élit, et c’est inévitable compte tenu de la prégnance des moyens de communication électronique (internet, télévision, radio) qui, par leur diffusion nationale, constitue une caisse de résonance dont ne peut bénéficier une candidate totalement indépendante. De fait, les candidates indépendantes qui ont quelque chance de succès le doivent au bon vouloir des formations politiques (qui peuvent s’abstenir de présenter des candidates contre elles, voire les soutenir à demi-mot) ou à une très forte assise locale, généralement obtenue à l’époque où elles appartenaient à une de ces formations politiques.

Plus gravement, le scrutin majoritaire ne permet pas, à l’échelle nationale, une représentation fidèle de la diversité des courants de pensée politique. Ainsi, une organisation politique dont les candidats obtiendraient chacun 51 % des voix obtiendrait 100 % des sièges à l’Assemblée nationale, alors que 49 % des votants ne soutiennent pas cette orientation. C’est la situation qui prévaut habituellement et actuellement : les candidats de l’organisation LREM ont obtenu 28 % des voix au premier tour et 43 % au second, mais 308 d’entre eux ont été élus, soit 53 % des sièges. En 2012, les candidats étiquetés SOC ont reçu 29 % des voix au premier tour et 40 % au second, mais 280 d’entre eux ont été élus, soit 49 % des sièges.

On dit souvent que cet inconvénient est un mal pour un bien en ce qu’il garantit la constitution de majorités nettes dans l’assemblée. L’exemple récent de l’élection britannique de la Chambre des communes a montré qu’il n’en est rien : malgré un scrutin uninominal majoritaire à un tour, qui favorise encore plus les grandes formations politiques, le Parti conservateur au pouvoir doit sa majorité étriquée (6 sièges) au soutien du parti nord-irlandais réactionnaire DUP qui détient 10 sièges (soit 1,5 % de la chambre) avec seulement 0,9 % des voix.

En effet, c’est un autre inconvénient de ce mode de scrutin : il est très sensible au découpage des circonscriptions. Cela peut permettre à un petit parti d’être surreprésenté dès lors qu’il a réussi à se constituer un bastion. Cela conduit aussi les organisations politiques à tenter de se constituer des bastions. Surtout, cela nécessite que les différentes circonscriptions soient découpées honnêtement et impose qu’elles comportent à peu près le même nombre d’habitants. Dans le cas contraire, les habitants d’une circonscription peu peuplée sont surreprésentés : c’est le cas des 6079 habitants de Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour limiter ce phénomène, il est nécessaire d’avoir des circonscriptions parfois très étendues (une seule pour tout le département de la Creuse).

Le scrutin proportionnel

Description

Avec un scrutin plurinominal, le pays est partitionné en un petit nombre de circonscriptions très étendues (voire une seule circonscription), et dans chacune d’elle sont à élire plusieurs députées. Si le scrutin est proportionnel, les candidatures se font sous forme de listes de candidates : chaque liste obtient un nombre de sièges proportionnel au nombre de ses voix.

Avantages

Si chaque circonscription élit un nombre suffisamment important de députés, la composition de l’assemblée est à peu près représentative de la répartition des suffrages : si les listes d’une organisation politique donnée obtiennent 29 % des voix, seront élus un nombre de députés de ces listes de l’ordre de 29 % de l’assemblée.

La diversité des courants politiques est mieux représentée et il n’y a plus de bastions.

Inconvénients

Il est souvent allégué que ce mode de scrutin conduit à des assemblées disparates et peu susceptibles de soutenir un gouvernement de façon pérenne. Mais cela est un problème essentiellement lié à la qualité des parlementaires élues plus qu’à la façon dont elles sont élues.

Plus profondément, les députés n’ont qu’un lien ténu avec leur circonscription d’élection, et réciproquement, le citoyen n’a pas « son » député.

Par ailleurs, il n’est pas possible pour une personne seule de se porter candidate : on se présente par listes et cela nécessite donc une entente à grande échelle mettant en jeu un nombre important de candidates ainsi qu’une campagne à l’échelle de la vaste circonscription.

Le scrutin allemand

Description

Il s’agit d’un double scrutin : chaque électeur vote deux fois. En pratique, il coche une case dans la colonne de gauche de son bulletin et une case dans la colonne de droite. L’une des voix (dite en Allemagne première voix) permet d’élire directement un député au scrutin uninominal dans une circonscription de taille raisonnable. L’autre voix (la deuxième) se porte sur une liste de candidats dans le cadre d’un scrutin plurinominal proportionnel. Concrètement, les circonscriptions pour ce scrutin sont les Länder, traduisant la nature fédérale du pays. Mais rien n’empêche d’utiliser une circonscription nationale unique pour traiter les deuxièmes voix, ce que je vais faire dans un souci de simplification.

Il faut en effet intégrer les résultats du double scrutin pour composer une Assemblée nationale unique. La loi électorale allemande dispose que la composition de l’assemblée doit refléter la proportion des deuxièmes voix : c’est donc le scrutin proportionnel qui domine l’ensemble. Comment dès lors traiter les premières voix ?

En fait, les candidates aux scrutins uninominaux sont également rattachées à une organisation politique, comme les listes. Ainsi, on sait sur quel quota imputer ces élections séparées. Par exemple, si le parti A a obtenu 11 % des deuxièmes voix, alors il doit avoir 11 % des 577 sièges de l’Assemblée, soit 63. Si, dans les scrutins uninominaux, 51 des candidates du parti A sont élues, il suffit de compléter avec les 12 premières candidates de la liste présentée par ce parti. Si en revanche seules 17 candidates du parti A sont élues avec les premières voix, on complétera avec les 46 premières candidates de la liste.

Et si 66 candidats du parti A sont élus dans les scrutins uninominaux ? D’abord, c’est peu probable, car dans ce mode de scrutin, il y a nettement moins de circonscriptions que de sièges dans l’assemblée : en Allemagne, il y a 299 circonscriptions pour 598 sièges au Bundestag. Les mandats excédentaires (3 dans notre exemple) sont donc peu nombreux. Le parti A a un peu trop de députés et se trouve légèrement surreprésenté dans l’assemblée. Récemment, la loi électorale allemande a été modifiée pour supprimer cette surreprésentation :  le nombre total des sièges de l’Assemblée est augmenté pour que ces 66 sièges du parti A correspondent à 11 % du nouveau total. Ici, on aurait une Assemblée de 600 sièges : les 20 sièges compensatoires créés sont répartis entre les autres listes.

Avantages

Ce mode de scrutin combine les avantages du scrutin proportionnel et du scrutin uninominal sans avoir leurs inconvénients. La composition globale de l’assemblée reflète la diversité des courants politiques mais chaque citoyen a également « sa » députée. Ce mode de scrutin supporte toutes les variantes qu’on connait du scrutin proportionnel : prime de sièges à la liste arrivée en tête, seuil minimal pour participer à la répartition des sièges, second tour avec fusion de listes, etc.

Des candidatures indépendantes peuvent être rendues possibles : des candidats pourraient être autorisés à se présenter individuellement, sans se rattacher également à une liste, et ils seraient traités à part dans le calcul des sièges. Pour éviter les abus (candidats d’organisations politiques faussement déclarés comme indépendants), on peut lier ce rattachement au rattachement financier qui existe déjà : les voix se portant sur des candidats indépendants ne pourraient pas entrer en compte dans le financement public des partis.

De plus, le découpage des circonscriptions est moins critique : il peut ainsi se faire plus calmement, et on peut tolérer des disparités démographiques plus grandes. De cette façon, on peut conserver des circonscriptions rurales de taille raisonnable, quitte à ce que les circonscriptions urbaines soient un peu plus peuplées. En effet, les disparités démographiques des circonscriptions n’engendrent plus de sur- ou sous-représentation politique.

Inconvénients

Le mode de scrutin est plus compliqué à comprendre.

Par ailleurs, le nombre effectif des membres de l’assemblée élue n’est pas totalement connu d’avance et il varie d’une législature à l’autre : il y a un nombre cible, mais qui peut être dépassé à cause des mandats excédentaires et compensatoires. Cependant, ce risque (mineur) peut être limité en établissant un nombre de circonscriptions strictement inférieur à la moitié du nombre des sièges à pourvoir.

Conclusion

Le Président de l’Assemblée nationale a proposé que chaque Français vote deux fois : une fois comme on le fait déjà, une deuxième fois pour élire une centaine de députées à la proportionnelle. La proportionnelle ne jouerait donc qu’à la marge. Le mode de scrutin à l’allemande permettrait de l’étendre à la totalité de l’Assemblée nationale sans perdre les bénéfices du scrutin actuel et avec des inconvénients extrêmement mineurs.

Dans ce domaine, le modèle allemand est le bon !