On reparle ces jours-ci de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires sur plusieurs blogs que je suis 1 2 et dont la lecture m’a conduit à m’engager en politique. C’est donc un bon sujet pour ma première note.

Dans une série de notes dont la présente constitue le commencement, je vais expliquer pourquoi je pense que la ratification de cette charte par la France n’est pas pertinente. Je vais le faire en analysant les stipulations de ce traité 3, ainsi que le rapport explicatif 4 qui lui est annexé. Aujourd’hui, je vais surtout faire une présentation résumée de ce texte.

De quoi s’agit-il ?

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires est une convention adoptée par le Conseil de l’Europe le 25 juin 1992. Elle peut être signée par n’importe quel État membre du Conseil de l’Europe, mais n’entre en vigueur dans un État signataire qu’après que celui-ci l’a également ratifiée. La France est signataire de la Charte mais n’a pas déposé d’instrument de ratification.

Organisation générale du texte

La charte, de 23 articles, est divisée en un préambule et 5 parties.

Les parties I et V, composées des articles 1 à 6 et 18 à 23, renferment la définition de langue régionale ou minoritaire (article 1) et définissent les modalités de ratification (articles 2, 3 et 21). Ces modalités divisent les stipulations de la charte en un tronc commun et des parties optionnelles : on n’est pas obligé de tout ratifier, mais il y a certaines parties qui ne peuvent être laissées de côté.

La partie IV (articles 15 à 17) prévoit des rapports et un comité d’experts chargé de les examiner, et c’est tout. Rien de fondamental.

La partie II comprend l’article 7 et expose les objectifs et principes de la charte. Cette partie éclaire donc la partie III (articles 8 à 14) qui est un catalogue de mesures , à charge pour l’État ratifiant de déterminer, dans certaines limites, celles qu’il appliquera.

Les mesures

Elles sont regroupées en 6 articles, chacun portant sur un axe : premièrement enseignement (art. 8), activités et équipements culturels (12) ; deuxièmement justice (9), autorités administratives et services publics (10), médias (11), vie économique et sociale (13) ; troisièmement échanges transfrontaliers (14).

Chaque article renferme plusieurs séries de mesures au choix, certains choix étant cumulatifs, d’autres formant une alternative. L’État ratifiant doit indiquer quels items il applique dans chaque article. Il doit en appliquer au moins 35, dont au moins 3 dans chaque article du premier groupe (enseignement, culture) et au moins 1 dans chaque article du deuxième groupe. Le mode de calcul précis du nombre d’items est donné par le paragraphe 45 du rapport explicatif.

Il y a une grande variabilité dans les mesures proposées. Ainsi, concernant l’enseignement secondaire, l’article 8, paragraphe 1, alinéa c, propose soit (i) qu’il soit assuré en langue régionale ou minoritaire (sous-entendu, totalement ; encore que le texte prévoit que cela soit sans préjudice de l’enseignement de la langue officielle de l’État), soit (iii) qu’il existe, parmi les disciplines enseignées, un enseignement de ladite langue. Ce qui n’a rien à voir !

Je reviendrai sur ces possibilités de variation dans une autre note.

Les objectifs et principes

Les principes fondamentaux de la Charte sont posés à l’article 7, paragraphe 1, seule partie du texte absolument obligatoire pour tous les États ratifiant le traité. J’y reviendrai peut-être plus tard.

En effet, outre la possibilité, déjà exposée, de modulation des mesures, il est permis d’émettre des réserves sur les paragraphes 2 à 5 de l’article 7, qui renferment les objectifs de la Charte.

Le paragraphe 5 vise à transposer les stipulations de la Charte, qui traite principalement des langues parlées sur un territoire défini, aux langues dépourvues de territoire. En pratique, il me semble que cela concerne surtout le romani, langue des Rroms, à laquelle plusieurs États d’Europe centrale appliquent la Charte. 5

Le paragraphe 4 stipule que l’État ratifiant doit, lorsqu’il légifère à propos des langues, prendre en considération les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues, au besoin en créant des organes chargés d’exprimer ces vœux. J’y reviendrai.

Le paragraphe 2 établit un principe de non-discrimination contre les langues minoritaires, et pose aussi le principe selon lequel les diverses mesures en faveur des mêmes langues et de leur locuteurs n’est pas considérée comme un acte de discrimination envers les locuteurs des langues plus répandues.

Enfin, le paragraphe 3 me parait très éclairant quant à la pertinence de cette Charte pour la France. Il stipule que les États s’engagent à promouvoir, au moyen de mesures appropriées, la compréhension mutuelle entre tous les groupes linguistiques du pays. Je me suis un moment demandé ce que pouvait signifier cette phrase s’agissant de la France, tout au moins de sa partie européenne. Quelles seraient donc ces mesures appropriées qu’il faudrait prendre pour que les différents groupes linguistiques se comprennent mutuellement ?

En France, tout le monde parle français. Certains parlent d’autres langues en plus du français et c’est très bien, mais tout le monde parle au moins le français. Les enfants l’apprennent tous à l’école commune. Dès lors, il n’existe aucun problème d’intercompréhension.

Les objectifs de la Charte, et partant les mesures qu’elle préconise, sont pertinents dans un pays au sein duquel il existe une population qui ne parle pas, qui ne reçoit pas l’enseignement de la langue commune, ou dans lequel il n’existe pas de langue commune. Dans ces pays, les problèmes d’intercompréhension, de respect mutuel, de cohésion, d’accès aux services publics et à la justice se posent effectivement avec une grande acuité, et l’application des mesures prévues par la Charte est une façon de les résoudre. Ces problèmes ne se posent pas en France, parce que la solution retenue a été de décider, et d’imposer, que tous les Français aient une langue commune. L’erreur commise aux 19è et début 20è siècle fut d’en vouloir faire la langue unique ; nous sommes heureusement revenus de cette position, mais cela ne doit pas nous conduire à renoncer aux bienfaits que procure l’existence d’une langue commune. Ce que d’ailleurs, personne à ma connaissance ne demande sérieusement.

Point d’étape

Je ne pense donc pas que la ratification de cette Charte par la France soit nécessaire. Cela dit, c’est peut-être cependant utile ou simplement intéressant. J’en discuterai dans une prochaine note, si toutefois cela intéresse quelqu’un.

En attendant, voici quelques questions que je me pose et auxquelles j’aimerais beaucoup que l’on apporte des réponses :

  1. Quel serait l’effet d’une réserve exprimée sur l’un des paragraphes 2 à 5 de l’article 7 ?
  2. Quel est le statut du rapport explicatif ; a-t-il un effet pour l’État qui ratifie la Charte ?
  3. Si un État ratifie la Charte mais ne l’applique pas correctement, existe-t-il des possibilités de sanctions ? Qui peut introduire un recours ?
  4. Dans les pays qui ont ratifié la Charte, quels effets cette ratification a-t-elle eue sur le fonctionnement de l’État et de ses services, et pour les locuteurs des langues concernées ?